SALABERT Paul, Firmin.


Né le 9 septembre 1927 à Cette [Sète] (Hérault), mort le 24 août 2000 à Sète ; ouvrier boulanger puis ouvrier du bâtiment ; communiste et syndicaliste CGT dans l’Hérault ; secrétaire régional CGT du bâtiment membre du Secrétariat fédéral du Parti communiste de l’Hérault ; membre du conseil d’administration de la CPAM et de la CRAM de Montpellier ; conseiller municipal à Sète (1953-1971).




Il est possible de distinguer trois périodes dans cette vie vouée au double militantisme politique et syndical, avec des responsabilités multiples assumées jusqu’au bout au sein de la CGT et du Parti communiste. L’impact des crises nationales et internationales a marqué à plusieurs reprises la réflexion et les comportements de Paul Salabert. Il a conservé des engagements sous-tendus par de fortes convictions.

La première période va jusqu’à la fin des années 1950 : c’est le temps d’un éveil précoce à la conscience politique et sociale et des débuts de son action syndicale et de ses responsabilités politiques La mort de Staline qui survient alors que Paul Salabert participe à la conférence nationale du PCF à Gennevilliers lui impose un effort d’analyse qu’il poursuivra à travers tous les événements marquants de la deuxième moitié du XXe siècle. La deuxième période est celle des années 1960 : elle est marquée par la question algérienne et la crise de 1968, par les problèmes internes à la gauche française et par l’élargissement du champ de vision de Paul Salabert qui se rend deux fois en RDA et une fois en URSS. Son combat syndical est aussi très activé par les grands travaux qui transforment alors le Languedoc méditerranéen. Ensuite, à partir de 1970, s’ouvre une troisième période pendant laquelle Paul Salabert qui cumule les responsabilités régionales, suit de plus en plus près les évolutions de son parti, celles de l’Europe, et s’engage particulièrement sur le terrain social pour la défense de la Sécurité sociale.

Ses choix s’expliquent d’abord par les conditions de vie connues dans son milieu familial. C’est le cas de nombreux militants de cette période. Né à Sète en 1927 dans le quartier populaire du Souras Bas, dans une famille de quatre enfants, Paul Salabert fit très jeune l’expérience d’une vie rude, dépourvue de confort, malgré le courage de ses parents : son père était pêcheur en mer et dans l’étang de Thau. Sa mère domestique chez les mareyeurs et les gros commerçants, se louait pour les vendanges pendant un mois par an. Ce n’est pas l’exemple d’un militantisme familial qui amena Paul Salabert au communisme, mais le spectacle des inégalités sociales et de la rudesse des conditions de travail de ses parents. Reçu au certificat d’études primaires en juin 1939, il espérait entrer un jour aux PTT comme l’avait fait son frère aîné. Mais ces modestes espérances furent abandonnées quand un accident rendit son père invalide. Il dut commencer à travailler en 1940. Apprenti chez un pâtissier puis chez un boulanger, il quitta Sète en décembre 1943 avec sa famille qui faisait partie des “ inutiles ” évacués sur ordre de l’occupant allemand. Près de Mazamet, il fut embauché comme valet de ferme puis comme “ demi-ouvrier ”dans une boulangerie. La famille Salabert quitta le Tarn après la libération de Sète sinistrée du fait des bombardements ou des destructions ordonnées par les Allemands.
Paul Salabert qui venait d’avoir 17 ans entra dans les “ milices patriotiques ” créées par le Parti communiste et adhéra aux Jeunesses communistes : ce furent ses premiers engagements. Ils peuvent s’expliquer par l’expérience de l’occupation, des privations et des contraintes endurées depuis 1942 et par la dynamique créée par la Résistance. Paul Salabert devint le secrétaire de son groupe de quartier, le Cercle Guy Moquet. A dix sept ans et demi il adhéra au Parti communiste. Il avait repris son travail d’ouvrier boulanger et il entra en 1945 au syndicat CGT. De mai 1947 à juillet 1948, il accomplit son service militaire au 4e régiment de Spahis en Tunisie où il contracta le paludisme. Il retrouva ensuite immédiatement sa place à l’Union locale des syndicats CGT de Sète. Il était devenu secrétaire de son syndicat et conduisit la délégation sètoise à la Rencontre internationale de la jeunesse à Nice, du 13 au 21 août 1950. Il continuait à militer au Parti communiste et il fut présent comme Paul Balmigère* et Michel Schuwer* à la manifestation organisée à Montpellier en 1950 pour soutenir Robert Teff dans son action contre la guerre d’Indochine. Au cours de cette journée, Michèle Domenech, atteinte par une grenade lacrymogène, perdit la vue. La même année, il conduisit à Sète la première grève des ouvriers boulangers pour obtenir que fût substitué au forfait en usage le paiement du temps de travail réel. L’action dura quinze jours et déboucha sur un accord mais Paul Salabert fut licencié peu après sans pouvoir retrouver un emploi dans sa profession : une première expérience de l’incompatibilité entre la stabilité professionnelle et les luttes syndicales telles qu’il les concevait. Du moins avait-il acquis de la crédibilité dans son syndicat et son parti : il entra au bureau de l’Union locale et au bureau de la section sétoise du Parti communiste qui était alors dirigée par Gilbert Martelli qu’il remplaça en 1953 avant d’être élu au bureau de l’Union départementale en 1954 et au secrétariat de 1955 à 1958. Candidat sur la liste Arraut aux municipales de Sète en 1953, il compta parmi les 13 élus. Il eut un deuxième mandat en 1959 (la liste Arraut obtenant 30 sièges sur 31).


En 1953, la mort de Staline fut annoncée le 6 mars pendant la conférence nationale de Gennevilliers où Paul Salabert était délégué. La nouvelle amena le bureau politique du PCF à annuler la conférence. Paul Salabert ressentit cette décision comme une “ faute grave ” alors que “la situation politique et le développement du mouvement social, les questions de l’Union face aux dangers, tout cela méritait une analyse approfondie ”. En 1954, il était au XIVe congrès à Ivry. En 1955, il fut appelé à l’École centrale du Parti. Il avait considéré la disparition de Staline en 1953 comme “ une grande perte ” et avoué avoir ressenti trois ans plus tard au moment du XXe Congrès du PCUS “ un sérieux traumatisme ” quand fut connu le contenu du rapport de Khrouchtchev. Mais en 1956, il fut de ceux (majoritaires dans son parti) qui approuvaient l’intervention de l’Union soviétique en Hongrie. À 26 ans, en 1953, il avait épousé Janine Maugasc, fille d’un militant communiste responsable du syndicat des marins de Sète. Elle était la secrétaire de Gilbert Martelli à son bureau d’agent d’assurances et appartenait aux Jeunesses communistes. Elle adhéra au Parti communiste en 1955. Ce couple de militants eut trois enfants : Michel, né en 1954, Patricia en 1955 et Katherine en 1957. Fidèles aux convictions de leurs parents, ils devaient entrer plus tard à la CGT dans le cadre de leurs activités professionnelles : Michel était devenu cuisinier au centre de formation des apprentis du bâtiment à Montpellier, les deux filles infirmières. Quant au parcours professionnel de Paul Salabert, il était chaotique. Il entra dans le secteur du bâtiment en 1951 et en 5 ans changea trois fois d’employeur : des activités écourtées par les licenciements qui suivaient les grèves. Il n’était pas encore permanent à l’Union locale de Sète. Il dut quitter la ville à laquelle il était attaché pour tenir un emploi d’ouvrier d’entretien aux hôpitaux de Montpellier, puis – en 1956 – d’ouvrier au centre de triage de la SNCF à Villeneuve-Saint-Georges. Là encore, il défendit une cause : celle des logements sociaux pour les ouvriers de province. Revenu à Sète, il fut élu secrétaire général permanent de l’ULCGT de Sète et membre de la commission exécutive de la fédération nationale du BTP.

Paul Salabert montrait déjà dans cette période un grand intérêt pour les organismes sociaux : il siégea à l’Unedic dès 1955 et fut élu administrateur à la CPAM de Montpellier en 1959. Il avait créé la Mutuelle des travailleurs sétois en 1962, mais il refusa la présidence de l’Union des Mutuelles de l’Hérault : à ses yeux, la Mutualité française était responsable de “ la mise en pièces de la Sécurité sociale ”. À partir de 1958 et durant les années 1960, le Parti communiste se trouva isolé dans les gauches qui avaient des analyses divergentes sur les événements d’Algérie, leurs impacts en métropole, les crises internes au bloc de l’Est. Paul Salabert conservait son attachement à l’Union soviétique et sa confiance dans les modèles des démocraties populaires. Il fit un voyage en RDA en juin 1960 avec la fédération CGT de la construction et il retourna à Berlin et à Magdebourg en 1967. Il en rapporta des “ Notes de voyage ” publiées par La Marseillaise : ce qu’il observa, dit-il, “ me confirma dans les appréciations qui étaient les miennes lors de mon premier voyage en RDA […]. Les gens paraissaient heureux et avoir les moyens nécessaires à leur épanouissement ”. Il était également dans la ligne dominante de son parti quand il se montrait critique vis à vis de la construction de l’Europe de l’Ouest. En 1957, il participait à la campagne contre le traité de Rome. Mais la question algérienne avec toutes ses conséquences en métropole devenait prioritaire. Elle était à l’ordre du jour du 31e Congrès de la CGT où Paul Salabert fut délégué. La condamnation du 13 mai, la préparation de la grève générale du 27 et de la manifestation du 28, toutes ces actions le conduisirent dans les usines Lafarge, la Société tunisienne, et vers les dockers au BMCO. Les débuts de la Ve République furent un temps de divisions politiques à gauche. Seul le socialiste Raoul Bayou avait sauvé son siège de député en 1958. Les alliances se faisaient contre les communistes (par exemple aux municipales de 1959). À Sète, le succès de la liste Arraut fut une exception. Le front de l’opposition républicaine ne se fit qu’en 1962. En novembre, le tournant fut pris, en particulier à Sète, quand le communiste Raul Calas, arrivé en tête au premier tour, se désista en faveur de Jules Moch situé en 3° position derrière le député sortant UNR. La crise politique mettait en évidence les clivages entre le parti communiste et la SFIO, la CGT et FO. Au début des années 1960, Paul Salabert, membre du Mouvement de la Paix, participa aux luttes contre l’OAS qui tentait de s’opposer par la violence au règlement de la question algérienne. En février 1962, après le drame de Charonne à Paris, il y eut à Sète une manifestation qui rassembla 5000 participants. Paul Salabert considérait avec scepticisme le processus de formation d’un “ Front unique de la gauche ”. En 1965, quand Mitterrand se présenta comme candidat unique de la gauche, il se demandait “ Pour quoi faire ? Avec quels objectifs ? Quelle politique ? ”, car il refusait le réformisme socialiste. En 1972, il considérait le Programme commun comme “ une erreur stratégique ”.
L’action syndicale prenait une importance grandissante dans certains corps de métier du fait du lancement de grands chantiers dans la région : barrage du Salagou, développement urbain avec la création des quartiers de la Paillade à Montpellier, du Moulin à Vent à Perpignan, de la Devèze à Béziers, du Château Vert à Sète (il fallait loger les rapatriés), développement autoroutier, construction des “ Villes nouvelles du littoral ”. Pour Paul Salabert, secrétaire régional CGT du BTP, ce fut un temps d’intense activité. Il appartint au Bureau national à partir de 1963 et participa à la rédaction de la première convention collective de ces professions. Il devint en 1967 permanent de la construction pour la Région. En 1968, les tensions entre la CGT et les promoteurs atteignent un paroxysme. Les grèves dans le BTP durèrent un mois. Il avait été réélu conseiller municipal à Sète en 1965 et en 1971, mais de 1972 à 1977 il quitta Sète pour Balaruc-les-Bains où il intégra le Bureau de la section du PCF. Son intérêt pour l’action sociale ne se démentait pas : il accepta d’assumer la charge du secteur social du Comité régional CGT de 1982 à 1992. Dans cette période, il fut responsable des groupes CGT de deux caisses de Sécurité sociale de l’Hérault : la CPAM de Montpellier-Lodève, et la CRAM.. Il y demeura jusqu’à la modification par ordonnances du système de désignation des administrateurs.
Après sa retraite en 1987, il devint secrétaire de l’Union des sections locales des retraités de Sète et du Bassin de Thau. Il était secrétaire de la cellule Paul Éluard du PCF dans le quartier du Barrou à Sète. Après la victoire de François Liberti qui succéda en 1996 à l’UDF Yves Marchand à la mairie de Sète, François Salabert fut désigné comme membre du Comité de section de son parti et du Centre communal d’action sociale de Sète. Militant infatigable et fidèle à son parti, il se situait parmi ceux qui gardaient la vision d’un parti révolutionnaire, tout en reconnaissant la nécessité d’une mutation.

OEUVRE : C’est ma vie. (Récit d’une vie militante), Sète, juin 1996, 237 p. [autobiographie de Paul Salabert]
SOURCES :Arch. Dép. de l’Hérault, 17 M 483, élections municipales, octobre 1959. —Archives des Caisses d’Assurances sociales de Montpellier, procès verbaux des conseils d’administration (CPAM et CRAM). —Le Midi Libre, municipales avril-mai 1953. —Entretiens et correspondance avec Paul Salabert en 1999.

Hélène CHAUBIN